Articles sur Max Pinchard
L'Affiche culturelle de Haute -Normandie n ° 100

Informations :
Auteur : Max Pinchard interrogé par Daniel Dorléans
Publication : L'Affiche culturelle de Haute -Normandie n ° 100
Contenu :
L'Affiche culturelle de Haute -Normandie n ° 100
DES MOTS DANS LA TETE
EN VOULANT ACTUALISER CORNEILLE, MAX PINCHARD A CHOISI DES TEXTES POUR MOTIVER ET NON PAS POUR AVOIR UN REGARD SUR LE PASSÉ.
ALORS, CORNEILLE EST-IL VRAIMENT AUSSI MODERNE QUE L’ON DIT ? RIEN DE PLUS VRAI POUR MAX PINCHARD QUI S’EN EXPLIQUE.
- Vous créez, au Théâtre des Arts de Rouen, le 4 novembre prochain, dans le cadre des fêtes du tricentenaire de la mort de Corneille, un oratorio lyrique pour soliste, chœur et orchestre : « Sainte Unité de Trois ». Vous avez puisé les textes dans les psaumes traduits et versifiés par Corneille. Certes, ils sont magnifiques mais ne trouvez-vous pas bizarre de travailler aujourd’hui sur le XVII e siècle ?
- MAX PINCHARD : Bizarre ? C’est une langue superbe… C’est une poésie qui ne laisse aucun vide, une poésie extrêmement signifiante, qui pose problème au musicien. Ma partition est essentiellement une lecture musicale de ces psaumes.
J’ai adopté une structure ternaire. Dans la première partie s’impose une sorte d’atmosphère très sombre, désespérée… L’idée de nuit : « Des nuits pour te louer, nous rompons le silence : écoute nos concerts » ; le soliste intervient pour apporter son témoignage : « Je suis affronté à la souffrance, toutes sortes de gens me veulent du mal, je suis au bord du désespoir …» J’ai choisi des extraits de l’Office des Martyrs, j’ai trouvé là des textes qui sont d’une modernité étonnante quand Corneille dit, par exemple : « La tête cède au fer qui du corps la détache, l’âme vole au-dessus du soleil et l’on voit chaînes, fouets, meule et croix et hache », c’est, pour moi, de même poids que les guerres, les exactions, les violences que nous connaissons aujourd’hui. C’est l’expression de nos préoccupations, de nos abattements, de ces violences absolument terribles dont nous sommes les victimes. Le soliste est donc celui qui traduit cette interrogation ce désarroi profond-en tout cas, c’est le sentiment que j’éprouve dans ce monde d’aujourd’hui à la fois tout à fait passionnant, plein de bouillonnement mais en même temps rempli d’incertitudes - et il dit :
« Mes jours ne sont que la fumée
D’un tronc que vos fureurs viennent de foudroyer…
En vain je pleure et me tourmente
Ce n’est que me hâter de courir au tombeau
A force de gémir mon supplice s’augmente,
Et mes os décharnés s’attachent à ma peau. »
Si l’on est attentif à la Parole de Dieu, tout peut s’organiser.
Le Psalmiste dit :
« Je prêterai l’oreille à cette voix secrète par qui le Tout-Puissant s’explique au fond du cœur ».
En clair, Dieu dit à sa créature : « tu as des problèmes, tu es bousculé, tu es meurtri mais si tu prêtes l’oreille à ma Parole, tu vas comprendre beaucoup de choses ». C’est ce grand thème théologique et bien connu qui est développé. Vient la troisième partie, très belle, très simple où l’on trouve l’apaisement Mais j’ai bien pris soin, et je le pense profondément sur un plan religieux, de ne pas conclure triomphalement. Pas de chœurs monumentaux, comme chez Haendel. C’est l’accord, l’abandon. L’allégresse doit être solennelle, la partition se termine au bord du silence, bouches fermées.
- Tout semble s’organiser autour du texte ?
M.P. : Je dois dire que j’attache une importance fondamentale à la poésie. J’ai mis beaucoup de textes en musique et j’ai toujours insisté sur le poids poétique d’une œuvre. La poésie, c’est la parole, plus importante en soi que le son. Parole signifie pensée, réflexion, logique, oraison. Cela vient, c’est sûr de mon éducation initiale. J’ai pratiqué longtemps le grégorien. Je recherche une expression large, simple qui mette les textes au premier plan. D’où l’idée d’un oratorio, structure traditionnelle et lyrique : qui va privilégier le chant. L’écriture est donc homophonique, syllabique de manière à ce que les mots entrent dans la tête des auditeurs.
- Quels seront les interprètes ?
M.P : C’est l’Orchestre du Théâtre des Arts, dirigé par Paul Ethuin, un chef d’orchestre de haut niveau. C’est pour moi une grande joie et cela me tranquillise. Ce sont les chœurs du Théâtre des Arts préparés par Michel Capperon, renforcés par ceux du Conservatoire, dirigés par Lucien Brasseur. La soliste est Hélène Garetti de l’Opéra de Paris, une très belle voix. Il lui faudra du punch : elle chante plus de quatre airs et l’orchestre, derrière elle, se déchaîne.
- Vous avez écrit : « j’aime ceux qui sont venus à la musique par des voies détournées. » Que voulez-vous dire ?
M.P. : Comment dire ? Je ne veux prendre que des exemples très personnels. J’ai commencé très tôt à faire de la musique, mes premiers travaux datent d’il y a quarante ans. J’ai fait de la musique légère, de l’opérette… j’ai arrêté pendant trois ou quatre ans et puis un jour, c’est un ami poète, Gérard Murail, qui m’a rudement poussé et convaincu pour un spectacle sur Baudelaire, j’ai donc écrit et depuis je ne me suis jamais arrêté.. J’avais fait de solides étude musicales mais, d’emblée, je ne me suis pas dit que je serai compositeur. C’est ce que je veux dire par voies détournées. Ce qui m’a beaucoup frappé, il y a longtemps, j’avais vu un film sur Gershwin lancé par les Américains. Il était pianiste et il s’était dit, comme il était fort doué, je vais composer. Il disait à son père : « Aujourd’hui, j’ai réussi à en faire quatre minutes» Faire quatre minutes de musique, ce n’est pas évident. Et puis après, il disait : « J’en ai fait un quart d’heure » et ça a donné la Rhapsodie in Blue. C’est à propos de ces expériences-là que je crois aux voies détournées.
En fait, il n’y a pas eu de décision, ces orientations se sont dessinées peu à peu et elles s’assument lentement.